A propos des chaises de Safet Zec

chaise au pain

Chaise au pain, 2006, huile sur toile, 160 x 122 cm

Le plus souvent, le travail de Safet Zec s’élabore en suites, en motifs inlassablement répétés.

Parmi ces motifs, il faut citer celui de la chaise. Quoi de plus banal qu’une chaise ? Mais là où d’autres accumulent, réajustent les objets du quotidien pour, la majeure partie du temps, dénoncer notre société de consommation, lui, seul dans son atelier, pose un regard sur les objets de son quotidien : chaise, chiffons, pots de peinture, etc. Objets insignifiants, objets usuels de la vie de tout les jours, de la vie d’un peintre. Safet Zec ne les sacralise pas, ne les place pas sur un piédestal. Il les pose simplement, et j’insiste sur ce mot, sur la toile. L’objet est là, seul, hors de son espace réel, dans ce lieu indéterminé qui est celui de la peinture. Alors cet humble motif, devenu discret à force d’être quotidien, dévoile son indicible réalité, se révèle comme un vivant silence laissant planer un doux parfum de mélancolie.

En fait, chez Safet Zec, l’objet représenté ne se donne jamais comme une simple étude d’après nature mais comme une impression intime rendant perceptible la poésie immanente du monde, qui en dévoile la présence. Une présence où, le plus souvent, l’homme est absent. Il suffit de regarder cette chaise où une veste est négligemment posée ou telle autre où un drap l’enveloppe, l’habille comme un suaire laissant deviner, comme une forme spectrale, ce qu’il a pour vocation de cacher, pour le voir, pour le sentir. Parfois, cette mise en scène suggère une peinture d’autrefois, jouant son propre simulacre face au réel se dressant devant elle mais, presque toujours, l’objet se liquéfie, s’efface pour devenir qu’une présence, celle de la peinture. Une peinture qui s’offre par traces : coulures, taches, empâtements, grumeaux, transparences. Là, les coups de pinceaux larges et vifs laissent imaginer un fond de plâtre vieilli qui mange, dévore le sol pour ne plus faire qu’un avec le fond. Ici, la chaise devient squelettique, à peine esquissée, laissant transparaître les papiers collés qui tapissent les toiles de Safet Zec. En effet, l’artiste n’attaque jamais son travail sur une toile vierge mais sur une préparation de papiers collés lui servant de base de couleurs sur laquelle il va composer.

L’oeuvre de Safet Zec demande un va-et-vient du regard, un cheminement entre la proximité de la matière et le recul nécessaire pour restituer l’oeuvre dans son ensemble. Ainsi l’oeuvre de cet artiste, au-delà de sa maîtrise vertigineuse, est une vision poétique de notre monde qui demande au spectateur de porter un nouveau regard sur son quotidien, qui l’éclaire sous un nouveau jour. Au bout du compte, Safet Zec est l’un de ces artistes contemporains qui a trouvé la voie originale des grands peintres d’autrefois.

                                                                                       Christophe Longbois-Canil

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